Emmanuelle Quertain
Emmanuelle Quertain
Quelques études sur la peinture
15 January 2011 – 5 March 2018 15.01.2011 – 05.03.2018
Rue Isidore Verheyden 2
“J’avais à plusieurs reprises, lors de conversations diverses avec Emmanuelle Quertain, été interpellé par la justesse de ton de ses questionnements et positionnements artistiques. A la suite de la réussite de son jury de maîtrise, la découverte de ses peintures confirma aussitôt mon attente et je fus grandement enthousiasmé par leur qualité et leur niveau de maturation. Cet intérêt était déjà partagé par quelques amateurs ou professionnels avertis que cette première exposition programmée de plus par une galerie largement reconnue vient confirmer.
Mais ce qui nous importe avant tout, c’est ce que l’œuvre interroge et apporte, en quoi elle nous apparaît en adéquation avec les exigences ou les inattendus qu’appelle notre condition contemporaine, quel renouveau de pensée elle éveille.
Que peindre ? Pourquoi peindre ? Quel risque pictural assumer ? sont des questions récurrentes qui à chaque fois ont permis à la peinture de renaître de ses cendres, différente de ce qu’elle était. Déjà Poussin avait écrit « J’ai essayé … », d’atteindre ce que Louis Marin a défini à son propos comme le sublime. Depuis lors, une autre modernité a posé la question de la peinture, puis a mis la peinture en question. Aujourd’hui, c’est ce que la peinture permet de questionner encore qui lui donne tout son sens.
Lors de ma première visite dans son atelier, Emmanuelle Quertain, qui, entre autres, ne cache pas son admiration pour Gerhard Richter, en réaction à ma découverte de ses nouvelles peintures aborda d’emblée la question de « l’artifice de la peinture, qui ne peut montrer que l’apparence des objets ». Et, en effet, il s’agit pour elle de peindre, dépeindre, mais non feindre, les objets choisis, d’interroger l’artifice de leur représentation picturale en « morcelant le regard pour mieux le préciser », par la démultiplication des points d’observation, la réalisation de suites de visées, de visualisations décalées, de respirations du regard.
De-là ses trois séries picturales, qui succèdent à sa série antérieure tournant autour d’un bouquet de fleurs des champs à peine coupées, semblant réagir encore dans leur vase au moindre souffle. L’une s’attache en six tableaux à un bouquet de persil, où l’intensité et la diversité monochromique de la couleur verte tranchant sur le gris du fond, de la table et du pot est interrogée sous ses différentes variations de formes. Une autre, composée de quatre tableautins, montre des tentatives d’impossible dialogue avec un poisson cherchant à percer des yeux l’au de-là de la limite vitrée de son aquarium. Six marines, de plus grand format, ou plutôt des tableaux conçus comme des morceaux détachés de nature, comptes-rendus d’observation éloignés de toute nostalgie des peintures paysagères cherchant à magnifier leur sujet, forment une suite d’analyses objectivées de moments de promenades, de visées sensibles sur l’encrassement des mers, l’entachement du climat et de ses densités atmosphériques, où la peinture devient un baromètre du regard.
L’apparence recherchée par l’artiste résulte autant de son sens de la visée et la prise de distance qu’elle implique, de la durée consciemment analytique de la perception que de son assiduité à préparer ses gestes et mouvements de peinture. Refusant « la machine, les mécanismes de reproduction » comme facteurs artistiques, ses prises de vue photographiques préparatoires à son travail pictural, leur transfert sur le support définitif par des procédés dérivés de la gravure qu’elle pratique par ailleurs, ne sont pour elle que des documents de travail, des aides mémoire, comparables à la camera obscura ou aux chambres claires permettant de définir et transcrire l’objectif à peindre.
C’est pourquoi ses « apparences » ne dérivent pas des raccourcissements des instantanés ou des « one shots » de la photographie mais découlent au contraire de la patience du regard et de la durée de l’observation créatrice. Elles sont hors temps réel, celui de l’immédiateté de la disparition et du seul transfert du présent. Le travail de peinture d’Emmanuelle Quertain n’est pas arrêt sur image mais perception au long cours. Son attention réfléchie, intériorisée, laisse transparaître dans chaque tableau terminé les possibles oscillations ou tremblements du temps.
Cette durée du signifié, antithèse de l’instantanéité ou de l’imagerie virtuelle cherchant à concilier accélération et disparition, redonne ici sens à « la lumière de peinture », à ses variations mais aussi aux tensions de sa matérialisation. Sa volonté de se faire rencontrer l’huile de la peinture et l’aluminium du support donne à ses tableaux une spécificité nouvelle, accentuant les effets de réflexion interne de la luminescence qui en émane, apportant à l’objet peint une profondeur quasi en rétention, détachée des effets de perspective. De même, la parfaite planéité du support, à la suite de son abandon de la toile tendue pour la plaque d’aluminium ou de mdf, permet d’accentuer la tension du geste autant que la précision du glissement de la couleur sur la surface.
Ici, l’observation, la raison, mais aussi l’exigence d’une pratique accomplie, appellent autant à la contemplation qu’à la perception des apparences. Exposés aux murs, ses tableaux montrent une pensée picturale à l’œuvre.”
– Michel Baudson, a.i.c.a., janvier 2011